L’association lyonnaise VIVO a pour objectif d’assurer un accompagnement et une prise en charge médicale, thérapeutique et juridique des personnes victimes de toute forme de violence. Coordinatrice en médecine de ville, celle-ci défend un véritable projet de santé au cœur d’un maillage de soins pour aider les personnes qui en ont besoin.
Mélanie, 28 ans, a bénéficié d’un accompagnement pluridisciplinaire (médical et thérapeutique) proposé par la structure basée dans le bâtiment Medicina (Lyon 8ème). La jeune femme se livre sur son expérience avec VIVO.
Mélanie, quelles sont les circonstances qui vous ont amenées à prendre contact avec l’association VIVO ?
J’ai vécu un traumatisme extrêmement douloureux au lycée qui a eu beaucoup de répercussions dans la suite de ma vie. A 15 ans, j’ai subi une agression venant d’un ami majeur qui était en terminale et avec qui je faisais du théâtre. Nous nous entendions très bien. Je ne sais pas s’il y a eu des incompréhensions, mais des choses ahurissantes se sont produites.
Un jour, il m’a amenée un peu à part, sur un banc. C’était un mercredi après-midi, il n’y avait plus personne dans le lycée. Il s’est montré très entreprenant. Pour lui, c’était un jeu de séduction. Quant à moi, j’étais pétrifiée et complètement tétanisée. Je n’ai rien dit, je n’ai pas bougé. Il m’a un peu déshabillée, beaucoup touchée et même léché le visage. Et lorsqu’il m’a embrassée, j’ai fini par sortir de ce stade de sidération, comme un déclic pour m’en aller ou plutôt fuir. Il m’a alors rattrapée et dit de ne surtout en parler à personne. Je suis rentrée chez moi aussi vite que je le pouvais, je me suis lavée et j’ai immédiatement lavé mes vêtements. Il n’y a pas eu de pénétration, heureusement, mais ces actes m’ont profondément écoeurés et abimés.
A cet âge, je n’avais pas le recul nécessaire pour prendre la mesure de ce qui s’était passé. J’étais persuadée d’être coupable et non victime. J’avais l’impression d’avoir trompé mon petit ami. Totalement perdue et désorientée, j’essayais d’en parler à mes ami(e)s. Mais il m’était impossible d’évoquer toute la vérité en raison de cette culpabilité paradoxale, de ce déni un peu surréaliste. Concrètement, seuls mes parents ont été révoltés. Mes amis, et de surcroît mon copain qui en savait plus, n’ont pas perçu réellement l’ampleur des dégâts. Je me suis alors dit que cela ne devait pas être si grave si seuls ma mère et mon père réagissaient. J’ai alors tenté d’enfouir tout ça au plus profond de mon esprit pour souffrir un peu moins. Ces tentatives ont été tellement nombreuses que certains éléments de l’agression sont devenus flous, alors que d’autres sont restés très nets.
Parallèlement, j’ai voulu arrêter cette option théâtre pour ne plus croiser mon agresseur. J’ai sollicité le proviseur en ce sens. Ce dernier, très impressionnant physiquement, m’a d’abord demandé le nom de ce garçon mais j’ai refusé de le lui donner. Il m’a ensuite brutalement interrompue dans mon récit en me demandant : “Mélanie, est-ce que vous êtes vierge ?” J’ai refusé de répondre à cette question particulièrement gênante. Il a toutefois insisté “pour le bien de l’affaire”. J’ai finalement cédé. Je venais en effet de faire ma première fois avec mon petit ami qui était dans ma classe. J’ai également expliqué que notre amour était sérieux. Ce dernier a alors eu une réaction lunaire et une réplique que je n’oublierai jamais : “Vous savez Mélanie, à partir du moment où une femme n’est plus vierge, son corps appelle automatiquement les hommes. Ce qui s’est passé n’est donc pas de sa faute. De plus, ce garçon ne sera plus là dans quelques mois.” Pour lui, cette vérité faisait autorité, sachant que je n’avais pas la majorité sexuelle et que mon agresseur était majeur. J’aurais pu porter plainte. De son côté, le proviseur en avait probablement conscience et ne voulait pas faire de vagues.
Totalement ébahie, je l’ai cru mais j’ai stoppé l’option théâtre. Il était hors de question que je continue. Quant à mon agresseur, je l’ai menacé d’aller en justice, il a paniqué et ne m’a plus jamais adressé la parole. Toutefois, il m’est arrivée de l’apercevoir à plusieurs reprises par la suite, ce qui engendrait toujours un tsunami immédiat et particulièrement douloureux dans mon corps.
Cette agression a donc eu des conséquences très violentes dans votre quotidien.
Totalement. A l’âge de 23 ans, je cherchais une personne de confiance pour mes rendez-vous gynécologiques. Mon entourage me mettait beaucoup de pression pour que je réalise ce suivi car textuellement “j’étais sexuellement active depuis plusieurs années”. De mon côté, j’étais un peu réfractaire à cela, mais j’ai quand même consenti à le faire. J’ai donc consulté auprès d’une gynécologue qui avait la double casquette gynécologue/médecin généraliste. J’avais pris soin de lui exprimer mes craintes et ma pudeur par rapport à une situation qui allait me mettre extrêmement mal à l’aise.
J’avais en effet subi un autre traumatisme terrible à l’âge de 15 ans lors de ma première consultation gynécologique. C’était avec mon médecin de famille que j’aimais beaucoup et en qui j’avais totalement confiance. J’étais mal à l’aise car elle savait que je venais d’avoir ma première relation sexuelle, sachant que mon mal-être était aussi décuplé par l’agression que j’avais vécue peu de temps auparavant. Pourtant, celle-ci ne prit aucun gant, malgré mes hésitations. Elle me demanda froidement de “baisser ma culotte”. Pire, face à mon désarroi, elle n’hésita pas à dire “que cela me posait moins de problèmes quand il s’agissait de mon petit copain”. Le décor était d’ores et déjà planté. Totalement choquée par cette phrase, je me suis laissée faire et je suis sortie en larmes, bien décidée à ne plus jamais revivre une telle expérience. J’ai même arrêté de la voir et je refusais catégoriquement que qui que ce soit m’examine.
Cette consultation auprès d’une autre praticienne était donc l’occasion de briser le signe indien. Malheureusement, cette personne amplifia mon traumatisme. Sur le coup, elle paraissait pourtant douce et à l’écoute. De mon côté, j’étais extrêmement stressée et je pleurais. Finalement, à la fin de la séance, elle semblait complètement perdue et désorientée.
Par la suite, à l’occasion d’une autre consultation avec elle, en médecine générale cette fois, elle a laissé entrer des artisans dans la pièce pendant qu’elle m’examinait. Et cela, malgré ce contexte très délicat qu’elle connaissait parfaitement. Pire, elle discutait avec eux alors que j’étais quasiment habillée mais surtout en position de vulnérabilité sur la table. Je me suis dit que si ça avait été une consultation gynécologique, elle les aurait quand même fait entrer.
Mon mal-être à ce sujet a alors atteint son paroxysme. J’étais stoïque et me demandait : “C’est ça être une femme ? Je vais devoir vivre ce calvaire tous les ans ?”. Je ne pouvais m’y résoudre.
Un déclic s’est-il produit ?
Oui. Un coup de pouce du destin est finalement intervenu par l’intermédiaire de ma meilleure amie. Elle m’a dit qu’elle avait rencontré une sage-femme dans un nouveau centre médical et qu’il fallait absolument que j’aille la voir car la séance s’était très bien passée. Connaissant ma situation, elle savait donc que Morgane Collette (actuelle présidente de l’association VIVO) me conviendrait parfaitement. J’ai suivi ses conseils.
Pour la première séance avec Morgane, je suis arrivée en retard dans un état de panique total. Je me suis effondrée. Elle a décidé de ne pas m’examiner ce jour-là, comprenant qu’il était inutile d’insister. Elle a également confirmé que ce qui s’était passé avec ce garçon ainsi que le rendez-vous gynécologique avec la précédente praticienne s’apparentaient à de véritables agressions. Cela m’a soulagé car je l’avais vraiment vécu comme telles. Ces mots, j’avais vraiment besoin de les entendre, j’étais confiante pour la seconde séance.
Sa bienveillance et son empathie ont confirmé cette première impression. Je me suis sentie immédiatement à l’aise. Elle a été incroyable et a réalisé tous les examens que je n’avais pas fait lors des dix années précédentes, même ceux pratiqués en laboratoire. Je me sentais réellement comprise et entendue avec ce ressenti que plus personne ne me toucherait sans faire attention. Cela m’a profondément ému. Les mots, les gestes, les actes, tout allait dans le bon sens. Elle prenait cela très au sérieux, tout en gardant un certain pragmatisme particulièrement rassurant.
Autre point important, Morgane permet aux patientes qui le souhaitent de réaliser elles-mêmes les introductions d’outils dans le cadre des examens. C’est extrêmement appréciable d’être actrice et non passive durant ce processus car regarder le plafond, en attendant que ça se passe, me rappelle immédiatement ces agressions que j’ai subies sans pouvoir réagir.
Avec l’association VIVO, sentez-vous que vous êtes enfin accompagnée de la bonne façon ?
Exactement. J’ai parlé avec Morgane d’autres problèmes qui ont affecté ma vie depuis cette agression. En l’occurrence, des troubles obsessionnels compulsifs comme la dermatillomanie, des troubles alimentaires mais aussi une perte de libido. Elle a dit qu’elle pourrait m’aiguiller vers les praticiens de l’association compétents dans ces domaines. Le tout, sans stress et sans obligation.
Ce fut ainsi le cas avec la sexologue Sophie Bohe, avec qui j’ai pu travailler efficacement et avec légèreté sur mes problèmes de désir vis-à-vis de mon compagnon actuel, malgré tout l’amour que je lui porte. Aujourd’hui ma libido ne crève toujours pas le plafond, mais toute la partie culpabilité, difficulté à me livrer et confiance en moi s’est largement améliorée. Morgane m’a également adressé vers un autre membre de VIVO, l’hypnotérapeute Frédéric Ferrand, pour traiter mes TOC. Des choses très constructives sont ressorties de ces échanges
Par ailleurs, en tant que directrice de l’association, Morgane Collette fait en sorte que cet accompagnement soit bien coordonné. Je constate un véritable suivi précis et concis dans le cadre de mon parcours de soin de la part de l’association. Désormais, je vais beaucoup mieux après une année 2020/2021 très difficile. Et je n’ai plus peur d’aller chez le médecin. Je suis fière de tout ce qui a été accompli et eux aussi.
A présent, pouvez-vous évoquer votre futur rôle dans l’association en tant que “patiente ressource” ?
Je suis désormais une patiente dite “ressource”. J’ai envie de m’impliquer dans une cause juste et d’apporter ma pierre à l’édifice. J’ai épousé la résilience, j’ai bâti de nouvelles fondations et je suis en mesure de faire partager mon expérience afin de permettre à d’autres victimes d’oser se livrer sur leurs souffrances et de les soutenir. Et cela, sans le moindre jugement.
Aujourd’hui, cette image de boucle vertueuse subsiste. Je vais tâcher de bonifier toutes ces épreuves pour en faire profiter celles ou ceux qui en ont besoin. Il est en effet plus facile d’aider les gens si on parle le même langage en termes de ressentis et de schémas psychologiques. Finalement, je me sentais avant comme une amie ressource, je suis aujourd’hui une patiente ressource. C’est une belle revanche sur la vie.
Propos recueillis par Mathieu Portogallo